Découvrir “Le retour de Moby Dick”

Lecture présentée par Sébastien De Pertat – 15 janvier 2021

SARANO François (2020), Le retour de Moby Dick. Ou ce que les cachalots nous enseignent sur les océans et les hommes, Actes Sud, Arles

Argument principal

Dans cet ouvrage, l’océanographe François Sarano raconte ses rencontres avec les cachalots, dans un milieu radicalement différent du notre. Il s’attache à montrer toute la complexité et la sensibilité de ces êtres, à travers leur histoire évolutive, leurs capacités cognitives, leurs comportements socio-culturels. François Sarano fait partie des premiers scientifiques à approcher les cachalots, non plus depuis le pont d’un bateau mais en se plongeant pleinement dans leur milieu. Il témoigne de la curiosité des individus rencontrés envers les plongeurs, en particulier des plus jeunes, qui sont parmi les premières générations à n’avoir pas connu la chasse, stoppée à partir de1983. Pour l’océanographe, ces rencontres, qui se font toujours «à l’initiative de l’animal» (p.50), témoignent du fait que «les cachalots [ont] changé d’attitude à notre égard» (p.51). Il démontre toute la richesse de cette espèce animale notamment à travers les comportements sociaux (une solidarité clanique qui l’amène à parler de «cerveau social» (p.146)) et la structure du langage (variations dialectales,transmissions culturelles, chapitres 10 et 11). François Sarano invite alors à retrouver «le sens du sauvage» (p.189): c’est en faisant ce pas de côté, en se plongeant dans des perceptions du monde qui nous sont radicalement autres, en allant à la rencontre d’une altérité profonde, que l’on pourra s’ouvrir à d’autres cosmologies et penser autrement notre cohabitation avec des «indispensables coloca-Terre sauvages» (p.194).

Intérêt pour la recherche Sensibilia

L’auteur revient à plusieurs reprises sur la notion d’«Umwelt», en référence au biologiste Jacob von Uexküll, qui correspond à «l’environnement ressenti grâce aux sens que nous avons développé» (p.32). Il invite à se perdre dans l’Umwelt de ces animaux, à «changer de repères, oublier nos références, notre façon de percevoir l’environnement» et à se demander «quel sens le cachalot porte-t-il sur le monde?» (p.33). Les cétacés sont issus d’une longue évolution dans un milieu radicalement différent du notre, avec une perception de l’espace-temps totalement autre. Nous ne pouvons comprendre leur comportement, leur langage, qu’en acceptant de faire ce pas de côté.

Limites et critiques

• – L’auteur parle très tôt de l’importance de l’ouïe chez le cachalot: c’est le sens premier de l’animal, grâce auquel il analyse et se repère dans l’espace, communique, chasse, au point qu’il a développé «le son le plus puissant de tout le règne animal» (p.31). L’écholocation lui permet d’avoir un véritable «hologramme sonore» (p.32). Toutefois, «l’écoute» dont parle l’ouvrage correspond majoritairement à des enregistrements, transformés en représentations graphiques pour être analysées. Sans rien enlever à l’intérêt de ces études, il semble que la question de l’écoute reste en suspens: qu’est-ce que cela pourrait réellement signifier de «se perdre» dans l’Umwelt d’une espèce pour qui l’ouïe est le sens dominant?
• Il y a une ambivalence dans sa façon de situer l’humain, qu’il a parfois tendance à replacer dans une forme d’exceptionnalité. Selon lui les animaux ne seraient pas en mesure d’envisager le temps au-delà du rythme des saisons et de leur propre vie, ni capables d’«abstractions détachées du support réel» (p.135). Ces jugements semblent faits à partir d’un référentiel qui est le notre, et relèvent plutôt de l’hypothèse.

Autres références citées intéressantes

CABANES Valérie (2016), Un nouveau droit pour la Terre, pour en finir avec l’écocide, Seuil, Paris

CYRULNIK Boris, «Théorie de l’esprit chez les animaux», Sciences Psy, n°7, 2016, p.40-46

DELFOUR Fabienne (2014), Étho-phénoménologie des mammifères marins et de leurs relations avec l’homme, habilitation à diriger des recherches, Paris XIII

DESCOLA Philippe, «L’âme des non-humains», in L’Homme et l’Animal, 30 000 ans d’histoire, L’Obs, hors-série n°94, 2017

UEXKÜLL Von Jakob (1934, 2010), Milieu animal et milieu humain, Payot & Rivages, Paris

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