Découvrir “Wet ontologies, fluid spaces : Giving depth to Volume Oceanic thinking” et “The ocean inExcess : Towards a More-than-Wet Ontology”

Lecture présentée par Damien Masson – 15 avril 2021

Peters, Kimberley et Steinberg, Philip (2019). «The ocean in excess: Towards a more-than-wet ontology». Dialogues in Human Geography, Vol.9, N°3, p.293‑307. DOI : 10.1177/2043820619872886

Steinberg, Philip et Peters, Kimberley (2015). «Wet Ontologies, Fluid Spaces: Giving Depth to Volume through Oceanic Thinking». Environment and Planning D: Society and Space, Vol.33, N°2, p.247‑264. DOI : https://doi.org/10.1068%2Fd14148p

Mots-clés :
Ontologie (plus que) humides/mouillées – Liquidité – Océan – Volume – Profondeur – Excès è Impermanence – Turbulence

Argument principal

L’enjeu du 1er texte est de se décaler des travaux (de géographes en particulier) sur la mer ou l’océan, pour plutôt penser par (à travers) lui, en partant de sa matérialité caractéristique. À travers la notion d’ontologie humide – ou mouillée – (qui renvoie à la fois à la qualité liquide de la mer, et au ressenti humide que l’on en aurait) les auteurs proposent de redéfinir nos manières d’appréhender le monde et d’ouvrir de nouveaux cadres pour la pensée géographique. Se fondant dans un premier temps sur la caractéristique ondulatoire de l’océan, à travers ses vagues et ses courants, les auteurs construisent ensuite plusieurs modes d’appréhension du monde rendus possibles par leur ontologie dont je retiens : le territoire, qui pensé de manière volumétrique et labile complique l’appréhension de ses éventuelles frontières et de sa régulation ; la matière et le temps, où les auteurs proposent une géopolitique de l’anthropocène prise au prisme de leur ontologie et devient compréhensible moins comme une nouvelle strate terrestre que comme un assemblage, en perpétuelle recomposition, tant aux niveaux physico-chimique, biotiques, vécus et politiques. In fine, ces arguments contribuent à la justification d’une pensée du territoire avec le volume, avec la turbulence, l’impermanence et l’immanence, qui contribue à altérer nos écologies sensibles, nos modes de relation au monde et penser en extension les effets que cela a sur le gouvernement des sociétés.

Le second texte affine le premier et précise ses potentielles implications écologiques (au sens de l’écologie sensible). Son enjeu consiste à développer une approche plus humaniste et sensible de l’océan en s’appuyant cette fois-ci sur son caractère excessif : qui existe au-delà de ses limites a priori que celles-ci soient matérielles, relationnelles, imaginaires ; qui déborde une forme, une matérialité ; qui est un espace en constante multiplication ; qui par définition est toujours au-delà de lui. A ces titres, cette seconde ontologie plus-que-mouillée entendexprimer cette dimension métaphysique de l’océan. Pour cela, ils vont construire trois plans d’appréhension de l’océan : the oceanwithin, par lequel ils développent ses dimensions non représentationnelles ; the oceanbeyond, où ils développent sa dimension matérielle ; puis the oceanimagined où ils concluent en montrant l’enjeu de la prise en considération de ses dimensions représentationnelles pour appréhender les renouvellements ontologiques qu’ils appellent de leurs vœux. Ce texte nous intéressera probablement plus que le précédent si l’on travaille dans la perspective sensible même si les effets d’une telle « ontologie » ne paraissent pas évidents de prime abord (à part à rappeler l’enjeu à penser le non, le plus que et le désigné comme étant toujours coextensifs). En revanche, la reprise à leur compte par les auteurs de la notion d’Hypersea (qui va progressivement se substituer à l’océan ou la mer) est intéressante par sa puissance performative : en faisant advenir toutes les connexions possibles et tous les registres d’appréhension à la fois. Pour autant, son efficace pratique parait moins fort que celui de l’ontologie mouillée dont les effets sur un potentiel renouvellement des catégories de la géopolitique marine semblent probablement plus opératoires.

Intérêt pour la recherche Sensibilia

Premièrement, ces travaux (et plus largement l’ouvrage Territory Beyond Terra que les mêmes auteurs ont coordonné avec E. Stratford) s’inscrivent en prolongement des nombreuses approches contribuant à ouvrir les catégories et paradigmes d’appréhension du monde, en mettant l’accent sur des modes de saisie liminaux, dynamiques et indéterminés.
Un second intérêt tient dans l’enjeu de la saisie de l’immanence d’un élément excessif du monde, l’océan, et la proposition (indirecte) d’une méthodologie pour y parvenir. A ce titre, l’océan ne parait plus nécessairement comme trop gros, trop grand ou trop débordant et échappant à toute appréhension sensible comme à toute possibilité d’interpellation et d’intellection.
Troisièmement, ces propositions ouvrent le champ d’une « pragmatique écologique », illustrant les articulations des approches de type plus-que aux questions de gestion environnementale et de gouvernement des sociétés. Sur ce point, Territory Beyond Terra (beaucoup plus que les ontologies mouillées) montre de quelle manière la géopolitique travaille à des échelles intermédiaires, micro, voire infra-micro, qu’elle interroge les corps, les interactions au milieu, et peut se fonder au-delà du conflit. Ce faisant, une troisième voie se dessine pour une microgéopolitique écologique qui serait autre que la géopolitique urbaine (cf. J. Rokem) et que l’écologie politique (urbaine ou non).

Limites et critiques

• Bien que percutante, la notion de wet reste insuffisamment justifiée et les caractéristiques qu’ils revendiquent à partir de là : ne sont pas toujours le propre de l’humide ou du mouillé ; ne rendent pas justice aux qualités spécifiques de l’océan à partir desquelles ils proposent de bousculer les appréhensions de l’espace géographique ; se limite à un état de la matière là où les auteurs insistent longuement sur la multiplicité des états de la matière composant l’océan.

• Les textes n’adoptent pas une logique démonstrative mais plus illustrative. Ils demeurent inspirants, mais certains arguments restent sous-développés (comme la liquidité par exemple), les références mobilisées paraissent souvent arbitraires : en cherchant plutôt des auteurs qui ont parlé de l’océan, plutôt qu’en mobilisant ceux qui ont pensé certaines de leurs catégories analytiques (comme Bauman pour la liquidité, ou mobiliser la pléthore de travaux pensant le temps ou le rythme).

• Enfin, l’enjeu de positionnement autour de l’océan est riche et ce territoire a été travaillé de très longue date chez les auteurs, qui parlent à partir de leur domaine de prédilection. A ce titre, leur pensée est fondée et est richement illustrée, néanmoins, l’idée de la variation de « l’élément » mobilisé aurait été très riche (quand on pense par exemple à ce que l’approche par le sonore fait aux géographies visuelles) pour, justement, montrer les implications multiples d’une pensée au-delà du solide (Terra) tels qu’ils le proposent.

Autres références citées intéressantes

Anderson, Ben et Wylie, John (2009). «On Geography and Materiality». Environment and Planning A: Economy and Space, Vol.41, N°2, p.318‑335. DOI : 10.1068/a3940

Anderson, J. (2014). «What i talk about when i talk about kayaking». Water Worlds: Human Geographies of the Ocean, p.103‑117.

Clark, Nigel (2011). Inhuman nature: sociable life on a dynamic planet. Los Angeles, Etats-Unis d’Amérique : SAGE Publications. 245 p.

Ingold, Tim (2008). «Bindings against Boundaries: Entanglements of Life in an Open World». Environment and Planning A: Economy and Space, Vol.40, N°8, p.1796‑1810. DOI : 10.1068/a40156

Peters, Kimberley A. ; Steinberg, Philip E. et Stratford, Elaine (Ed.). (2018). Territory beyond terra. London ; New York : Rowman & Littlefield International. 284 p. Geopolitical bodies, material worlds.

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